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mercredi 27 novembre 2013

De l'emploi du verbe "tuer"


Il y a quelques années, entourée d'amis et racontant une histoire traitant entre autres d'IVG, j'avais maladroitement employé le verbe "tuer", sans même y penser, et j'avais été très étonnée que tout le monde en soit choqué. Il faut dire que dans le contexte de mon histoire, il s'agissait d'une IVG non désirée que l'entourage souhaitait imposer à la mère, et par-dessus le marché je connaissais personnellement l'enfant en question, car la mère avait finalement su relever le défi de le garder, non sans un fort soutien extérieur et beaucoup de complications. Je ne pouvais envisager l'embryon que l'on avait souhaité ne pas laisser naître que sous la forme de cet enfant bien vivant que j'avais souvent côtoyé, d'où peut-être mon vocabulaire un peu brutal ; il ne s'agissait nullement pour moi de condamner d'un mot toutes les mères (et les pères) confrontés à cette question difficile et bien souvent cruciale.

Depuis, j'y ai souvent repensé, et j'y reviens aujourd'hui du strict point de vue des usages linguistiques (je ne prétends pas à une quelconque vérité biologique ou physiologique dans mes propos). Le fait est que notre façon d'utiliser ou non tel ou tel mot en dit très long sur notre vision du monde, et je vais donc me pencher aujourd'hui sur l'usage du verbe "tuer". Je m'en tiendrai à son usage comme prédicat d'action, et plus précisément d'action perpétrée par un humain. L'action de tuer, lorsque l'agent est animal, a une intentionnalité très différente ; on y parle de prédateur et de proie, le plus souvent dans le cadre de la survie primitive. Quant à l'usage événementiel, avec des agents comme catastrophe naturelle, maladie, ou même accident, il est encore plus éloigné de mon propos. Quels peuvent donc être les objets de "tuer" lorsque son sujet est humain ? Et pourquoi l'embryon ne pourrait-il pas en faire partie ?

J'ai d'abord pensé que le verbe "tuer" pouvait être trop barbare, brutal. On tue sa femme, son frère, son enfant, par passion, par haine ou par accident ; on tue des dizaines, centaines, milliers d'hommes dans une guerre ou un attentat... Certes. Mais on tue aussi des chatons lorsque l'on ne peut pas s'en occuper ; on tue des loups lorsqu'ils menacent nos troupeaux ; on tue du gibier à la chasse. Mieux encore : on tue un moustique qui nous agace, une fourmi sur laquelle on marche accidentellement ; on tue des bactéries qui nous menacent ou des parasites qui nous abîment la santé. On tue des microbes, et on parle même parfois de tuer des cellules cancéreuses, dans une représentation selon laquelle elles auraient une vie indépendante de celle du corps dans lequel elles se développent. Si tuer un être humain est quasiment universellement considéré comme un acte barbare et condamnable, sauf dans quelques cas très spécifiques et légitimés comme celui d'une guerre, selon les conditions, tuer un animal pourra être accepté sans aucune condamnation. Certains cas sont sujets à débats, avec des arguments pour ou contre. Si l'on pourra toujours trouver quelqu'un pour défendre (contre la majorité) l'idée qu'il ne faut pas tuer les moustiques, il sera plus difficile de trouver un défenseur de la vie des bactéries infectieuses.

Après avoir parcouru de nombreuses possibilités, il me semble que l'acte de "tuer" peut être effectué sur tous les êtres vivants animés. On ne parlera pas en revanche de tuer une plante ou un arbre (sauf par métaphore pour accentuer son propos : on peut parler de "tuer" des arbres lorsque l'on lutte contre la déforestation ; mais pas lorsque l'on abat un vieux cerisier au fond de son jardin). Et le verbe ne porte pas de condamnation en soi : un chasseur reviendra très fier d'avoir tué trois faisans ou un sanglier ; et même s'il y aura toujours quelqu'un pour le montrer du doigt, il n'en utilisera pas moins le verbe "tuer", sûr de sa légitimité. Le parent attentif tuera méthodiquement tous les poux qu'il trouvera dans les cheveux de son enfant, sans culpabilité aucune malgré l'emploi de ce verbe. L'acte est donc condamnable non pas parce qu'on lui applique le verbe "tuer", mais uniquement selon les convictions de chacun, et également selon l'objet de l'action.

Je me pose donc très sérieusement la question : L'embryon humain est-il susceptible d'être "tué", au même titre qu'un poulet que l'on va manger, un cafard dans notre évier, ou encore une larve ? L'embryon est-il conçu comme un être vivant animé ? Si non : pourquoi ? Est-ce que ce n'est pas vraiment vivant ? Est-ce que ce n'est pas vraiment "animé", de la même manière que le champignon est une forme de vie entre le végétal et l'animal ? (il ne me semble pas qu'on tue un champignon, pas plus qu'une fougère...) Est-ce encore parce que l'embryon est un amas de cellules qui n'a pas encore de vie propre dans nos conceptions, et qui fait partie du corps de la mère ? Auquel cas on ne pourrait pas plus le tuer qu'on ne peut tuer un organe... Est-ce encore autre chose ? Je ne sais pas. Et pourtant, l'utilisation de ce verbe reste dérangeante, je ne peux que l'admettre.

vendredi 18 novembre 2011

Un monde à part


Je me suis dit qu'il fallait absolument que je vous raconte, parce que je crois que je vis dans un monde à part. Ce soir, petit dîner de trente personnes environ : des jumeaux, amis de mon frère, fêtent leur anniversaire. Chez moi c'est pratique parce qu'il y a une véranda assez bien aménagée pour ça. Je suis là complètement par hasard : la grande sœur d'une de mes amies a voulu la faire inviter, à moins que ce ne soit à l'initiative de ses parents, probablement pour lui faire rencontrer des jeunes hommes de la bonne société. Du coup, restons pragmatiques, il faut bien quelqu'un pour lui tenir compagnie.

Je crois que ce n'est pas partout qu'on voit des jeunes gens, la vingtaine, qui vont à un dîner en jeans, chemise et veste de blazer. Ajoutons un foulard, arborons fièrement la chevalière : c'est la classe. Apéritif avec un fond sonore moitié rock, moitié je ne sais trop quoi, moi qui n'y connais rien. Le dîner commence au bout d'une heure et demie. Tout le monde est déjà un peu joyeux, et on propose de faire un bénédicité. Pas spécialement pour bénir le repas, mais parce que quand même, on n'est pas n'importe qui. L'idée est drôle, mais on a un peu la flemme, alors "on n'a qu'à mettre abemus papam !", ce qu'on fait aussitôt. [Là, c'est bien normal, la grande majorité de ceux qui me lisent - à condition que je sois lue - ne comprend même pas de quoi il s'agit.]

Non, certainement, ce n'est pas tous les jours qu'on voit des types bourrés à la bière et au bon vin, qui chantent Voici le corps et le sang du Seigneur et "c'est la lutte finale", en passant par Fanchon, "c'est à bâbord..." et j'en passe. Tentative d'un Je Vous Salue Marie à plusieurs voix, des chants traditionnels de chasse, L'Espérance, La Cavalcade - précisons s'il est nécessaire qu'ils chantent complètement faux, rapport à l'alcool, ce qui est plus classique. Et par derrière, toujours un fond musical entre rock et techno. Je ne suis pas rentrée dans l'ambiance parce que ce sont des amis de mon frère, et que je ne les connais pas, mais j'avais le même genre de dîners l'année dernière avec mes amis, l'alcool en moins.

Mais ce n'est pas plus fréquent, il me semble, de voir ensuite les convives (qui ont, je le rappelle, une vingtaine d'années), pousser à la fin du dîner les tables contre les murs, et se mettre à danser le rock - une forme très particulière de rock, en réalité. J'ai longtemps cru que c'en était, mais j'ai appris plus tard que ça n'avait de rock que la musique sur laquelle on le danse. Et encore. En réalité, la musique vire à l'électro, mais certains continuent de danser le "rock" quand même, pendant que les autres se trémoussent au son de la musique... En jeans et veste de blazer.

Non, vraiment, je crois vivre dans un monde part. Je suppose que quand on y est extérieur, ce monde doit être incompréhensible. Et à partir de là, c'est tellement facile de juger.

Et c'est mi-émerveillée, mi-désespérée, qu'après avoir écrit à peu près ces mots, la jeune fille d'à peine dix-huit ans que j'étais est partie se coucher, cette nuit-là, au son de musiques des années 80 mêlées du martèlement des basses du XXI° siècle.

Librement adapté d'après moi-même, février 2006

Comme un coquelicot


Enfant, j'étais très attirée par ces multitudes de coquelicots qui poussent dans les fossés, au printemps. Corolle si fragile, calice éclatant, trésors délicats et provocants. La fleur est là, elle se languit le long du pré, elle nous attend. J'en voulais une qui soit à moi, rien qu'à moi, juste pour moi. Maman disait, ne la cueille pas ! Elle est si bien ici, sur le bord du chemin. Prends-la et dans une heure, il n'en restera rien.

Mais pour une petite fille, c'était trop difficile, elle était tellement belle. Le moyen, s'il vous plaît, d'y résister ? Évidemment, je la cueillais ! Pour en sertir la boutonnière de mon gilet, pour la piquer dans mes cheveux, ou simplement pour la garder. Mais fatalement, une heure plus tard, il était tout fané, le joli coquelicot que j'avais ramassé. Je n'avais plus en mains qu'une fleur laide et fripée, aux pétales noircis et recroquevillés. Plus rien de la jolie fleur sauvage, qui m'avait fait pourtant d'intrépides œillades, je n'avais pas rêvé, lors de mon passage.

Oui, là, un peu plus tôt, sur son tapis d'émeraude, elle semblait appeler, chercher à me séduire, me charmer. Mais j'eusse tellement mieux fait de la laisser tranquille : joyau offert à tous n'appartient à personne, sinon à ses parents le soleil et la pluie.

Librement adapté d'après moi-même, mai 2007

lundi 31 octobre 2011

Tricheuse


En relisant les quelques pépites que j'avais déposées sur ces pages, après les avoir tant soignées, j'y retrouve un ton léger, aérien que j'avais dû avoir fichtrement du mal à adopter tant il ne m'est pas naturel. Il est agréable de revenir ici comme on rentre chez soi après une longue absence, et de tout reconnaître, chaque chose à sa place et tellement peu de poussière sur les jolis bibelots...

Enfin me revoilà, avec mes gros sabots, et la plume encrassée de ce que j'ose appeler mes "réflexions" appuie avec lourdeur ses mots patauds et maladroits. Vaut-il mieux ça ou rien ? Sur un coup de tête je voudrais réécrire, mais j'en suis réduite à improviser des sujets que je cueille aussitôt comme des fruits trop verts qui n'auraient pas eu le temps de mûrir...

Si je veux à nouveau collectionner mes émotions et mes pensées, il me faut réapprendre à les bien apprêter, les lisser et les perfectionner avant de les coucher sur ces pages. En attendant, et comme pour m'entraîner, je crois que je vais prendre la liberté de replanter des mots que j'avais laissés en friche dans un pré voisin. Et même m'autoriser à retoucher légèrement ce qui a déjà été gravé dans ce marbre-ci.

C'est de la triche, j'assume.

dimanche 30 octobre 2011

Vérité plurielle


Je discutais hier avec un ami de ma conception de la vérité. Je me refuse à admettre que la vérité puisse être « relative », car alors tout est vrai, et le concept même de vérité disparaît. D'un autre côté, les gens les plus convaincus de posséder la vérité sont souvent aussi de ceux qui font le plus de mal autour d'eux, et il n'y a qu'à lire l'Électre de Giraudoux pour se faire une idée de ce dont je veux parler. Mon frère aîné vous dirait que la vérité n'existe pas. Le Dieu chrétien vous dit, lui, qu'Il est la Vérité. Et selon moi, les deux points de vue se tiennent. Je m'explique.

Si la Vérité n'est pas relative, alors elle relève de l'absolu (et quoi de plus absolu que le divin ?). Mais de deux choses l'une : si on ne croit pas dans le divin, ou du moins dans la possibilité d'un absolu, alors il ne peut y avoir de vérité, qui par essence est absolue. De l'autre côté, si je crois à l'existence d'un absolu, je suis en revanche convaincue de mon incapacité totale à l'appréhender par mon esprit humain, qui en est beaucoup trop loin... Comme être humain, je suis inscrite dans le temps, dans l'espace, dans les limites de mes connaissances et de mes expériences. Sans compter le passage par les mots pour exprimer, comprendre, interpréter ce que je pourrais prendre pour des vérités. Et en tant que linguiste, je sais à quel point les mots empêchent d'accéder à l'absolu.

Et pourtant, je crois que la vérité existe, bien que je ne puisse pas y accéder totalement. Tout ce que je peux atteindre, ce sont des fragments de vérité. Mais les autres, avec leurs expériences, leurs connaissances, leur sensibilité et leurs mots à eux, peuvent atteindre d'autres fragments de vérité, parfois contradictoires avec les miens. Et qui a raison ?

Du moment que tout le monde est de bonne foi, si chacun écoute raisonnablement l'avis de l'autre et le prend en compte, mais que l'on ne peut pour autant se mettre d'accord : est-ce que l'un a raison contre l'autre ? Est-ce que les deux ont tort ? Est-ce que mon amie qui se plaît à le répéter est réellement une « girouette » lorsque le dernier qui parle a raison ?

Il arrive, dans ce genre de cas, que les deux aient raison. Non pas que tous les points de vue se valent, ou que la vérité soit relative. C'est plus simple que ça : pour autant que je puisse l'appréhender, la vérité est plurielle.

dimanche 12 décembre 2010

Envie d'écrire ici à nouveau.
Mais quoi ?

vendredi 17 septembre 2010

Lecture fusionnelle


Quatre jours pour lire 821 pages. Non, pas tout à fait quatre jours, et c'est sans compter tout ce que j'ai fait d'autre. Je ne m'étais pas autant plongée dans un livre depuis bien longtemps, et c'est pourtant loin d'être de la grande littérature, je suis forcée de le reconnaître. Mon esprit s'est indigné au fil de la lecture contre le scénario parfois grossier, contre ces acteurs qui surjouent tellement que ce n'est jamais vraiment naturel, contre les facilités que je reconnaissais pour les avoir déjà lues dans les autres romans de cet auteur. Non, Les Âmes Vagabondes ne sont pas un chef-d'œuvre de la littérature, et ce à un point qui habituellement me rebute.

Je n'ai pourtant pas pu lâcher ce livre avant la fin, pas plus que les quatre tomes de la série Fascination de la même Stephenie Meyer. C'est que ses scénarios ont beau être maladroits et prévisibles, parce qu'on connaît par avance le message honnête et bien pensant que l'auteur veut transmettre, il faut avouer qu'elle met ses personnages dans des situations psychologiques assez intéressantes et inattendues. Bien sûr, ils ne sont pas toujours très crédibles et m'apparaissent souvent comme des acteurs maladroits, mais il n'en est pas moins agréable de s'imaginer dans leur peau...

Et ce qui me retient surtout, ce sont ces sentiments bruts cachés derrière les lignes d'écriture, ces émotions violentes et captivantes, comme des animaux fascinants malgré la maladresse de leur dompteur. Quand je lis Stephenie Meyer, je veux vivre ce que vivent ses personnages, je veux vivre ces sensations si fortes, l'amour, la douleur, le manque, la haine, la tristesse, les déchirures... La vie. Je me sens si terne à côté d'eux. Il est tellement agréable d'imaginer qu'il peut exister des émotions si fortes, si profondes, si absolues... Et si vitales. Qu'on pourrait les expérimenter aussi.

Mais je sais bien que les sentiments ne sont jamais plus absolus que la nécessité de vivre. Que ce qui est le plus déterminant, c'est le libre arbitre. Et tant mieux. J'y tiens.