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mardi 23 mars 2010

Heureux


Il se sent tellement bien, aujourd'hui. Comme libre de tout souci, libre de toute contrainte. Le cœur léger, il sort du théâtre en chantonnant, il voudrait s'envoler. Sa famille est là autour de lui, en cette douce soirée printanière, et il sautille sur la chaussée, danse sur les plots de béton qui délimitent le trottoir, comme le font les garçons heureux sur le chemin de la maison. Cette douce euphorie, cette sensation si agréable, il est rare qu'il l'éprouve : il faut en profiter. Communiquer sa joie, parler au premier passant venu avec le sourire, exposer à tous sa vision de la vie, la vie si belle et agréable. Il se sent philosophe, prêt à affronter les contrariétés avec joie. Il se sent mystique, il sent son devoir de professer sa foi, sa foi en quelqu'un qui est là, à ses côtés, il le sait bien. Quelqu'un qui l'aime, quelqu'un qu'il aime.

Elle a envie de hurler, de pleurer, de crier. Elle hésite entre la haine et le désespoir, entre la tristesse et la colère. C'est injuste. Elle était là, heureuse de danser devant tous ces gens, au milieu de ses amies. Et voilà qu'elle sort du théâtre, et voilà que la réalité la rattrape. La réalité moche, la réalité sale, la réalité effrayante. Ce monsieur devant elle lui fait peur, cet homme la dégoûte, son père lui fait honte. Elle n'a qu'une image en tête, l'homme fou de Tintin et le Lotus Bleu qui a "trouvé la voie". Elle voudrait marcher loin devant lui, loin derrière lui, elle voudrait qu'il se taise, qu'il arrête. Elle voudrait se cacher dans un trou de souris, elle voudrait un autre père, elle ne voudrait plus de père, elle voudrait juste que tout ça n'existe pas. Elle voudrait qu'il ne soit pas malade, elle voudrait pouvoir le supporter, mais tout cela est impossible. Elle se sent prise d'une profonde angoisse, elle se noie dans une tristesse sans fond. Elle n'a pas d'autre choix que d'accepter l'inacceptable.

Il se sent léger, et il est fier de sa fille qui a si bien dansé, qui a participé à un si beau spectacle. Il est fier de sa fille, il aime sa femme qui marche à ses côtés, il est bercé par cette joie qui s'est emparée de lui. Mais il ne voit pas le malaise que ressent toute sa famille. Il ne sait pas que ce soir, on lui fera prendre cette pilule qui lui interdit d'être heureux.

3 commentaires:

  1. ... Tu as su trouver les mots qui touchent. Ça me rappelle l'histoire d'un petit garçon Lambda. On se sent tout vide après avoir écrit un truc pareil. Mais ça fait beaucoup de bien ...

    E.

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  2. juste bouleversant, je ne trouve pas d'autre mots...

    C.

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  3. C'est bien de l'avoir écrit, c'est important... enfin je crois.

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